Suite au report des élections législatives et du
référendum constitutionnel au 22 mars 2020,
le FNDC appelle le peuple guinéen à manifester
les 21 et 22 mars 2020, afin de déjouer ce qu’il
appelle une « mascarade » électorale. La journée
du 22 mars a été marquée par de nouvelles
interpellations dans les rangs de l’opposition ainsi
que plusieurs dizaines de blessés, dont certains par
balles. D’après la Fédération Internationale pour
les Droits Humains (FIDH), plusieurs personnes
souhaitant se rendre aux urnes ont été agressées.
Ces deux jours de contestation et de mobilisation
électorale ont également été le théâtre d’une
répression sanglante, au cours de laquelle, selon
des informations publiées par le FNDC, au moins
dix personnes ont perdu la vie. De son côté, le
gouvernement a déclaré dans un communiqué
que des « violences et affrontements entre
militants [...] ont malheureusement causé la mort
de deux personnes à Conakry ». Il a évoqué en
outre que « deux autres décès par accident et par
arrêt cardiaque ont été signalés » ainsi que « des
actes inciviques et des violences [qui] ont causé la
destruction du matériel [électoral] ».
D’après plusieurs témoignages recueillis par
Human Rights Watch (HRW) : « les forces de
sécurité étaient parfois accompagnées de civils
armés de couteaux et de machettes, qui s’en sont
pris aux manifestants, tuant au moins un jeune
homme », Nassouralaye DIALLO.
Par ailleurs, plusieurs témoins ont confié à nos
équipes avoir identifié des membres des forces de
l’ordre tirant à balles réelles sur des électeurs, des
militants manifestant contre le projet de réforme
ou encore de simples passants, entrainant la mort
de certains d’entre eux :
1) Mamadou Bailo DIALLO, 12 ans, résidant à
Komola, dans la banlieue nord de Conakry. Il a été
atteint par une balle au niveau de la tête, le 21 mars
2020, à 18h00, alors qu’il revenait de la mosquée
et passait à proximité d’une zone de heurts entre
manifestants et forces de l’ordre. Il est décédé des
suites de ses blessures le même jour. Selon un de
ses parents interviewé par Amnesty International,
ce serait des gendarmes qui lui auraient tiré dessus
: « J’ai entendu un coup de feu et des gens ont crié
qu’ils ont tiré sur lui. Je suis sorti et j’ai vu les jeunes
le transporter à la clinique. De la clinique, on est allé à l’hôpital Donka vers 20h. Il a rendu
l’âme à 23h30. Le corps a été déposé à
la morgue et depuis le lundi 23 mars, on
reçoit des appels de l’hôpital pour venir
chercher le corps. On nous a dit que ce
sont les gendarmes qui ont tiré sur lui »,
affirme le membre de la famille du jeune
homme.
2) Elhadj Nassouroulaye DIALLO, 19 ans, habitant
dans le quartier Petit Simbaya. Il a été tué par balle
le 22 mars entre 11h00 et 12h00 dans le quartier
Simbaya Gare, dans la commune de Ratoma.
Celui-ci est décédé lors des violences ayant éclaté
entre partisans de l’opposition et forces de l’ordre
durant la distribution du matériel électoral dans
les bureaux de vote. Son tuteur témoigne des
circonstances de son décès en soulignant les fortes
tensions qui ont marquées cette journée électorale
: « Hier, dans les environs de midi, je regardais la
télé. Subitement, on [a] entendu du bruit dehors
chez le voisin. Les gens [sont sortis] pour savoir ce
qu’il se passe. Des tirs détonaient de partout. Parmi
eux, Nassouroulaye. À peine 2 minutes après, j’ai
entendu des coups de feu à nouveau. Je suis sorti
moi-même. Entretemps, un jeune arrive en courant
et me dit : “Ils ont fusillé ton jeune frère là-bas”. Je
me précipite vers la direction qu’il indique. Il était là gisant par terre. Nous le prenons pour
le transporter à l’hôpital. Mais quand
nous sommes arrivés au niveau de la
voie publique, il n’y avait pas de passage.
La route était complètement barricadée.
Nous avons dû le mettre sur une moto
avec un autre jeune pour l’amener
à la clinique le Flamboyant. Mais les
médecins nous disent qu’ils ne sont pas
en mesure de le prendre en charge. De
là-bas, nous l’avons transféré dans une
clinique située à Demoudoula du nom
de “Dogomet”. Le temps pour moi de
retourner à la maison pour prendre ma
voiture et revenir, le Docteur m’a dit qu’il
[avait] rendu l’âme », déclare-t-il.
3) Boubacar BARRY, 35 ans, habitant
du quartier Bantounka. Il a été tué le
22 mars 2020, à Bantounka 1, dans la
commune de Ratoma. Il a été enterré
au cimetière de Bantounka. Ses proches
accusent des policiers d’avoir ouvert
le feu sur Boubacar. Son frère raconte
les circonstances de son décès à un
journaliste de Guinée Matin : « Hier, on
m’a appelé vers midi pour me dire que la
police a tiré sur mon jeune frère et que
le corps est [à l’hôpital]. Et, selon les
informations, lorsqu’on lui (Boubacar) a
tiré dessus, les policiers n’ont pas trouvé mieux que de venir monter sur sa tête avec leur
véhicule ». Pour Me Amadou Taraya BAH, huissier
de justice, Boubacar est mort d’une balle dans la
tête : « On vient de me le présenter dans la morgue
de la mosquée de Bantounka. On a soulevé le
drap qui le couvrait pour voir comment la tête a
été touchée par une balle. Donc, des photos ont
été prises, et on se prépare maintenant pour son
enterrement. Brièvement, c’est une balle qui a
causé sa mort. La balle est venue se loger dans sa
tête. C’est regrettable. Ceux qui doivent protéger
la population, se sont eux-mêmes qui prennent les
armes et ciblent les gens qu’ils veulent tuer. C’est
regrettable », a-t-il confié.
4) Thierno Oumar DIALLO, 25 ans. Il a été
tué par balle le 22 mars 2020 à Kakimbo.
Le jeune homme est décédé en marge
des heurts qui ont éclaté entre des
agents des forces de l’ordre déployés à
Kakimbo et des manifestants s’opposant
à la tenue du double scrutin législatif et
référendaire. Selon le frère de la victime,
qui s’est confié à Guinée Matin, Thierno
Oumar DIALLO ne participait pas aux
manifestations lorsqu’il a été tué : « Il
était de passage lorsqu’un gendarme a
détonné un tir sur lui. Hier [dimanche],
il y avait des manifestations chez nous
ici, à Kakimbo. Mais, vers 15 heures déjà,
les manifestations avaient cessé. [...]
Mon petit frère était de passage à côté
de la rivière, il était vers l’autre rive qui
conduit vers Kaporo, ça a coïncidé au
moment où des jeunes étaient aux prises
avec des gendarmes qui poursuivaient
les gens dans le quartier. Parmi eux, il y
avait deux gendarmes qui avaient des
fusils. Je ne sais pas maintenant s’ils
visaient d’autres [personnes] ou non. En tout cas, ils ont tiré sur mon petit frère qui était
de passage. La balle l’a atteint au niveau de son
cou ». Il ajoute que les gendarmes qui ont tué son
frère se sont également livrés à des exactions : «
Ils ont pénétré dans beaucoup de concessions et
pillé leurs contenus. Ils ont emporté beaucoup de
téléviseurs et blessé quatre personnes ». Un témoin
interrogé par une télévision guinéenne locale
expose par ailleurs la façon dont les hôpitaux ont
refusé d’accorder des soins à la victime : « C’est
devant moi qu’ils ont tué l’enfant, c’est nous qui
l’avions pris et [envoyé] à la clinique. On a utilisé
tous les moyens possibles pour prendre le corps
en [charge] mais impossible. On est parti chez le
chef de quartier, il dit qu’il ne peut pas. On [a vu]
la croix rouge, elle dit qu’elle ne peut pas, qu’on
les a interdits de prendre les corps pour amener à
Donka ou à Ignace-Deen ». Dans une autre vidéo,
sa mère témoigne des circonstances de sa mort,
et accuse également les forces de l’ordre d’être à
l’origine de son décès.
5) Thierno Mamadou BARRY, 20 ans.
Il est décédé à Mamou suite à une
blessure par balle survenue le 22 mars
2020 dans l’après-midi lors de violentes
altercations entre les jeunes militants du
FNDC et les forces de l’ordre.
6) Hafiziou DIALLO, 25 ans. Il a été tué
par balles à Hamdallaye 2, le 22 mars
2020. Son corps a été envoyé dans une
concession à Hamdallaye 2 et sa famille
a mis plusieurs heures pour accéder à sa
dépouille, en raison des tirs incessants.
Thierno Souleymane DIALLO, oncle
paternel du défunt, explique que son
quartier a fait l’objet de nombreuses
exactions par les FDS. Il revient sur les
circonstances du décès de son neveu :
« Selon ceux qui étaient sur les lieux où
l’acte s’est produit, c’est à 11 heures que
Hafiziou DIALLO a reçu une balle au moment où il passait au niveau d’un petit carrefour
situé dans notre quartier. C’est au niveau de ce
carrefour que les agents ont tiré sur lui. Le monde
entier a le regard braqué sur la Guinée. Le pouvoir
fait exprès de continuer à tuer les citoyens qu’il est
censé protéger, surtout ceux qui habitent autour
de la route le Prince. Ce n’est pas caché, tout le
monde le voit et le sait » explique-t-il.
7) Mamadou Oury DIALLO, 23 ans. Il
aurait été tué par balle par des FDS lors
d’un affrontement entre manifestants et
contre-manifestants le 22 mars 2020.
D’après sa mère, Mamadou Oury aurait
reçu une balle au niveau de l’abdomen
et aurait ensuite été battu par plusieurs
contre-manifestants avant de succomber
à ses blessures. Son corps a été envoyé
à la morgue de l’hôpital Ignace Deen, où
il a été refusé au prétexte du manque
de place. Du fait de l’état du corps du
jeune homme, la famille a été obligée
de l’enterrer dans le quartier le lundi 23
mars 2020 à 14h00.
8) Alpha Oumar DIALLO, 18 ans. Il a été
tué dimanche 22 mars 2020 à Conakry.
La victime aurait été touchée par balles
aux alentours de 13h, près de l’école
Diafounayah dans le quartier Dar-Es-
Salam 1, dans la commune de Matoto,
par des hommes habillés en tenue de
gendarmes. Son frère raconte : « C’est
par rapport aux élections qui étaient
prévues hier vers Dar-Es-Salam, ils sont
venus installer les bureaux de vote, les
jeunes sont venus s’opposer à cela. Les
forces de l’ordre et de sécurité sont
venues et ont tiré sur un jeune, le jeune
est tombé. Il [Alpha Oumar DIALLO]
est venu sauver le jeune touché, ils
lui ont tiré aussi. Tous les autres se
sont dispersés ». Il a été atteint à la
cuisse droite et ensuite « lynché par un
groupe de contre-manifestants ». Il
a succombé à ses blessures quelques
minutes plus tard alors que ses proches
le conduisaient à l’hôpital. Il a ensuite
été emmené à la morgue de la mosquée
de Dar-Es-Salam.
9) Ousmane BARRY, 23 ans. Il a reçu une
balle dans le dos le 22 mars à 12h00,
alors qu’il se trouvait à l’extérieur de
sa demeure familiale à Bambeto, dans
la banlieue de Koloma à Conakry. Il est
décédé peu de temps après son arrivée
à l’hôpital.
10) Issa Yero DIALLO, 27 ans. Elle a été tuée
le 22 mars 2020 dans une cimenterie
située dans la commune de Ratoma.
D’après son mari, son quartier était
encerclé par des gendarmes lorsque sa
femme a été ciblée par ces derniers : «
Elle avait fini de préparer [à manger]. Il
y a des pickups qui sont venus encercler
le quartier, ils ont commencé à tirer en
l’air. Cela a provoqué la panique. Mes
deux enfants sont sortis. Ma femme,
dès qu’elle a entendu des coups de feu,
a demandé où sont-ils. Elle s’est dite
obligée de sortir. Elle est allée au marché
voir si les enfants y sont. Les forces de
l’ordre ont recommencé à tirer en l’air.
Dans la panique, tout le monde fuyait.
Quand elle a voulu se retourner, une balle
l’a touchée ». HRW dénonce l’exécution
de sang-froid d’Issa Yero DIALLO par un
gendarme, qui aurait tiré à bout portant
sur la jeune femme. Le ministre CAMARA
a déclaré le lendemain qu’un gendarme
soupçonné du meurtre avait été arrêté.
Le Ministre de la Sécurité, Damantang
CAMARA, a accusé un élève-gendarme
d’être à l’origine de la mort de la jeune
femme.
11) Hamidou BAH, 24 ans. Il a été tué
par balle le 22 mars 2020 à Kobaya
Kinifi, dans la commune de Ratoma.
Il a été enterré le lundi 23 mars 2020,
au cimetière de Koloma Soloprimo.
Hamidou BAH est décédé des suites de
sa blessure par balle à la poitrine. Selon
le frère et le père de la victime, les forces
de l’ordre ont tiré sur Hamidou à bout
portant. Il se baignait avec de deux de
ses amis dans la rivière de Wanindara
lorsque des membres forces de l’ordre
sont arrivées et s’en sont pris à eux : «
Comme dimanche c’était un jour de
vote, il n’y avait pas de travail, mon petit
frère et deux de ses amis sont allés se
baigner à la rivière de Wanindara. C’est là que les forces de l’ordre les ont trouvés. Pris
de panique, ils ont pris la fuite. C’est ainsi que les
agents ont tiré sur eux. Ses deux amis ont reçu les
balles au niveau des pieds et lui il a été touché à la
poitrine », explique le frère de la victime. Hamidou
BAH est décédé sur place des suites de sa blessure
par balle. Son corps a d’abord été transporté à la
mosquée de Kinifi, dans le quartier Kobaya, puis
amené par la famille à la morgue de l’hôpital
Ignace Deen dans l’attente de la préparation de
ses obsèques. Mais selon le frère de la victime, les
responsables de la morgue ont indiqué à la famille
« qu’il n’y a pas de place et que leur hiérarchie ne
les autorise pas à garder les corps là-bas », ce qui
a obligé celle-ci a précipité l’enterrement.
12) Mamadou Aliou SOW,
chauffeur. Il aurait été
percuté par un véhicule de la
deuxième Compagnie mobile
d’intervention et de sécurité
(CMIS), le 22 mars 2020. Celui-ci
déjeunait avec son frère au bord
d’une route lorsqu’il a aperçu des
membres des FDS pillant une
habitation. Les FDS les auraient
ensuite poursuivis à bord de
leur pick-up alors qu’ils jetaient
des projectiles en leur direction
afin de les empêcher de voler
les habitants de la maison. C’est
lors de cette course poursuite
que les FDS auraient alors
percuté Mamadou, puis volé son
téléphone, son argent, ainsi que
son véhicule, raconte son frère.